Ce qui ne vous a peut-être pas interpellé dans l’actualité récente d’Uber, c’est l’annonce de sa commande au groupe Suédois Volvo de plusieurs milliers de véhicules autonomes pour commencer à équiper sa flotte. Pourtant, si cela peut paraître relativement anecdotique, cela signifie pourtant pour Uber le changement complet de son business model et donc, ironiquement, l’abandon l’ubérisation.
Bien qu’on connaissait déjà l’ambition du groupe, cette annonce confirme la stratégie visée par Uber (automatiser ses taxis) et nous rapproche un peu plus de l’échéance. Or, qui dit voitures autonomes, dit fin des chauffeurs. Et qui dit fin des chauffeurs, dit fin de l’ubérisation pour Uber (pour rappel, l’ubérisation c’est le mot – un peu valise – employé pour évoquer la mise en relation directe entre prestataires et clients via une plateforme numérique). On pourrait même aller jusqu’à dire que Uber met fin au VTC (Véhicule de Tourisme avec Chauffeur). En tous cas, la volonté pour Uber de disposer de sa propre flotte de voitures autonomes correspond a un grand virage dans son modèle économique, et il s’agira de ne pas de faire fausse route.
Les futurs véhicules autonomes d’Uber
En début de semaine, on apprenait donc qu’Uber a conclu un accord avec Volvo pour l’achat de 24000 véhicules autonomes. Il s’agira de SUV de luxe (Volvo XC90), des véhicules 7 places équipés des systèmes nécessaires à la conduite autonome (capteurs, freinage de secours, etc.). Uber devra quant à lui y intégrer sa brique logicielle de conduite autonome pour rendre opérationnel les véhicules. Si le montant de la commande n’a pas été rendu public, il s’élèverait aux alentours de 1,4 mds $ selon le Financial Times. La livraison s’échelonnera elle entre 2019 et 2021.
Cette flotte importante permettra alors à Uber de tester à grande échelle sa technologie qui est en cours de développement, et dont les tests ont commencé il y a à peine plus d’un an à Pittsburgh en Pennsylvanie. Depuis, les voitures autonomes de Uber ont pu également rouler à Tempe en Arizona et à San Francisco en Californie, parcourir 1 millions de miles en 30 000 trajets, mais aussi griller deux feux rouges et être impliqué dans un accident mineur. Des progrès sont donc encore à faire pour mettre au point une conduite parfaitement sûre, et Uber compte bien étendre les tests avec sa nouvelle flotte pour entraîner sa technologie et gagner en expérience (en premier lieu, des chauffeurs assureront la sécurité et pourront reprendre la main en cas de pépin).
“C’est une bonne situation, ça, chauffeur Uber ?”
(que celui qui n’a jamais posé cette question à un chauffeur de VTC lève le doigt )
Alors certes, on parle pour l’instant de quelques milliers de véhicules. On est donc encore loin de remplacer les 2 millions de chauffeurs Uber qui font tourner le service. D’autant plus qu’à court terme les nouvelles Volvo autonomes ne pourront pas rouler sans chauffeur de sécurité à bord. Et on peut également s’attendre à ce que la transition ne se fasse pas demain : il faudra d’abord résoudre les problèmes technologiques, puis convaincre les autorités politiques et réglementaires des 84 pays et 737 villes où est présent Uber. Sans oublier qu’un autre obstacle se dresse sur la route, cette fois d’ordre judiciaire : la firme est depuis Février 2017 en conflit avec Waymo, la filiale d’Alphabet, qui l’accuse de vol de technologie. Le procès a d’ailleurs été récemment repoussé au 4 décembre prochain et son issue est incertaine. Il va donc y avoir du sport avant de pouvoir autonomiser toutes les voitures Uber et laisser les chauffeurs sur le bas côté.
Mais il ne faut pas ou oublier qu’à terme la voiture autonome est au coeur du projet d’Uber. C’est d’ailleurs en partie ce qui explique sa valorisation exceptionnelle (69 mds $), alors que l’entreprise n’a jamais été rentable (2,8 petits milliards de $ de perte en 2016). Et pour arriver un jour à la rentabilité, l’entreprise a un objectif : se passer des chauffeurs grâce aux voitures autonomes. Travis Kalanick, le fondateur d’Uber qui a démissionné en Juin dernier, l’avait annoncé sans détours: “Si Uber peut parfois vous paraître cher, c’est que vous payez pour l’autre type dans la voiture” (le chauffeur). “Quand il ne sera plus là, le service sera meilleur marché”. Meilleur marché, et surtout plus rentable ! Actuellement, la commission qu’Uber prélève sur chaque course n’est “que” de 20 à 25% (bien que ce soit une des plus élevée parmi les services de VTC). En effet, il faut bien rémunérer les chauffeurs afin d’en conserver le plus grand nombre – c’est en partie ce qui fait l’attractivité du service.
Néanmoins, une flotte mondiale de voitures autonomes permettrait d’augmenter largement les revenus d’Uber qui pourrait alors s’accaparer la totalité du prix des courses. Les chauffeurs savent donc à quoi s’en tenir.
La fin de l’ubérisation pour Uber
Or, ironie du sort, se passer de chauffeurs reviendrait à abandonner l’ubérisation, modèle économique pourtant issu d’Uber et de son fonctionnement. Ce terme, popularisé par Maurice Levy (patron de Publicis) en 2014, désigne le modèle économique basé sur les plateformes de mise en relation directe entre clients et prestataires. Une grosse partie du succès de ce modèle réside dans la qualité de ces plateformes qui, grâce aux nouvelles technologies et au digital, assurent une mise en relation, simple, immédiate et géolocalisée. Niveau partage des revenus, le client paie le service à la plateforme qui prélève une commission et rémunère ensuite le prestataire. Uber, Blablacar, Airbnb, ou encore Booking sont les figures de proue de ce nouveau phénomène économique et sont souvent cités en exemples. Mais l’ubérisation a pris énormément d’importance, au point de toucher aujourd’hui des secteurs très traditionnels comme le droit, la banque ou la restauration. Au final, de plus en plus de secteurs sont concernés et sont alors forcés de subir et de s’adapter à cette nouvelle concurrence (ou de mourir). En France, un observatoire de l’ubérisationa même vu le jour en 2015 pour analyser le phénomène.
Si le modèle comporte de nombreux avantages (pour les prestataires : meilleur accès au travail, revenus supplémentaires et autonomie professionnelle ; pour les clients un service à moindre coût et facilement accessible), il est pourtant sujet à de nombreuses controverses. Un temps considéré comme faisant partie de l’économie collaborative, il s’en différencie pourtant sur de nombreux points et comporte beaucoup inconvénients : concurrence déloyale, précarité des revenus, vulnérabilité, mise en concurrence des travailleurs (et pas des entreprises), etc.
Première prise pour cible, Uber a souvent déchaîné les passions et engendré de nombreuses critiques et manifestations. Et si l’entreprise cristallise autant les reproches faites aux plateformes, c’est parce que, en plus d’incarner l’ubérisation, elle est la seule société qui affiche ouvertement son ambition de fonctionner sans chauffeurs, assez cyniquement d’ailleurs au regard de ses campagnes de communication faisant la place belle aux conducteurs.
Avec une flotte de voiture autonomes, Uber commence donc l’abandon de son propre enfant pour faire exactement le contraire de l’ubérisation ; à savoir devenir une entreprise beaucoup plus classique reposant sur un capital particulièrement important de voitures autonomes, et abandonner toute idée de mise en relation entre clients et prestataires. |
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