Qu’est ce que ça change au quotidien
En pratique, la neutralité du Net permet d’éviter que les opérateurs nous fassent payer plus cher pour avoir accès à certains contenus. Facebook, Amazon, Twitter, Google, Spotify, YouPorn, Mozilla, Dailymotion, BitTorrent, Netflix ou bien www.brainandbreakfast.fr : aucun n’est mis en avant ou discriminé par les opérateurs et tous ont le même droit de diffusion sur internet.
Sans neutralité du Net, des offres internet pourraient être proposées avec des prix différents selon l’accès à tel ou tel contenu. Plus cher pour utiliser beaucoup Netflix, abonnement spécial pour lire tel ou tel titre de presse en ligne en illimité, bloquer éventuellement certains sites, ou bien abonnement special pour accéder à des sites pornos (exemple plus vicieux, ou moins vicieux, ça dépend du point de vue).
Au final, cela ouvre la porte à la conclusion de partenariats commerciaux entre les fournisseurs de contenus et les opérateurs télécoms, qui pourront alors privilégier leurs partenaires et diffuser leurs contenus dans de meilleures conditions, laissant le reste du web se cantonner à une route lente et cabossée. Cela revient à une marchandisation de la bande passante.
Pire encore (scenario noir on te l’accorde), on pourrait imaginer des forfaits internets à prix abordables ne donnant accès qu’à certains sites “basiques” ayant des accords avec les opérateurs, et d’autres très onéreux pour accéder à la totalité du web. Le forfait Facebook & friends à prix modique, les autres beaucoup plus onéreux pour accéder au reste du web.
Scenario noir mais pas impossible. Car c’est ce qu’a essayé de faire Facebook lorsqu’il a voulu lancer en 2015 son offre “free basics” en Inde, finalement interdite par le régulateur Indien. Il s’agissait d’un forfait internet gratuit permettant uniquement l’accès à Facebook et Wikipedia – donc une certaine vision particulière d’internet. La gratuité de ce forfait aurait alors largement avantagé Facebook face aux autres forfaits payants permettant d’accéder au reste du web. Malheureusement, « free basic » s’est depuis déployé en Afrique et notamment au Nigeria.
Pour revenir aux Etats-Unis, en votant la fin de la neutralité du Net, la FCC permet aux FAI américains d’instaurer un Internet à plusieurs vitesses dans le pays. Le problème est que le marché de l’accès à internet aux Etats-Unis est loin d’être aussi concurrentiel qu’en France. Et souvent, il n’y a qu’un seul opérateur sur un territoire donné, parfois deux dans les grandes villes, mais pas beaucoup plus. Et si le seul opérateur auquel un américain à accès dans sa ville discrimine l’accès à internet, il n’a alors plus d’autre solution que celle d’être restreint de force.
Il faut également considérer la fin de la neutralité du Net au regard de la tendance actuelle de la convergence opérateurs – contenus. En effet, aux USA comme en France, les opérateurs investissent massivement dans les services de contenus (vidéos, presse ou musicaux). Comme en France ou Orange a lancé OCS – Orange Cinéma Séries – ou encore SFR Altice qui possède Libération, l’Express ou encore BFMTV. Or sans neutralité du Net, libre aux opérateurs de favoriser leur propre service de presse ou de streaming vidéo ou musical au détriment de du journal Le Monde, de Netflix, de YouTube ou de Deezer par exemple. Autant dire que Verizon, Comcast et AT&T se frottent les mains : ils pourront demain favoriser leurs propres offres.
Le développement de gros groupes possédant à la fois le réseau, les services culturels et les médias, et qui distribuerait des offres intégrant ces divers services, pose alors la question de la liberté d’expression et du droit d’accès à l’information, mais aussi du pluralisme des médias. La belle affaire.
Les arguments de la FCC pour y mettre fin
En réalité, cela fait des années que les opérateurs américains militent pour avoir la main sur ce qui circule par leurs tuyaux, alors que fournisseurs de contenus et les militants des libertés numériques s’y opposent.
Sous la présidence d’Obama, la FCC avait du changer les règles s’appliquant aux fournisseurs d’internet aux Etats-Unis et promulguer la neutralité du Net en février 2015.
Elle est donc revenue hier sur cette décision. Déjà en mars 2017, le Congrès américain avait accepté de revenir sur la régulation votée sous Obama. Et la nomination de Ajit Pai, opposé à la neutralité du Net, à la tête de la FCC par – devinez qui – Donald Trump – en Janvier dernier explique ce nouveau changement de position. Mais le président de la FCC étant nommé par le président et changeant à chaque quinquennat, la donne pourrait rechanger dans quelques années.
Quoiqu’il en soit, l’argument actuel de la FCC est le suivant : avec ce nouveau cadre, les fournisseurs auront davantage de liberté et de latitude dans leurs offres commerciales. Car selon les opérateurs, les règles de la neutralité du Net les empêchent d’établir des accords commerciaux, qui seraient les seuls capables de dégager suffisamment de profits pour investir dans les infrastructure, et in fine augmenter la bande passante et le débit de leurs clients. Grosso modo, c’est « laissez-nous faire payer certains fournisseurs de contenus pour être diffusés et favoriser nos propres services, et on pourra investir dans des nouvelles infrastructures pour étendre partout et à tous l’accès à internet ». Un peu bancale et contradictoire comme argument.
Mais selon les mots de Brendan Carr hier, commissaire de la FCC, « nous [la FCC] ne donnons pas aux fournisseurs d’accès toute latitude pour décider de ce que vous pourrez faire avec Internet. Notre décision va être assortie de robustes protections pour les consommateurs. Le régime actuel n’est pas ce qui nous sépare d’une version d’Internet à la Mad Max. ». Rassuré ?
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